A la table d’Anna

A la table d'anna

Elle n’a pas d’âge, Anna. Le film s’est arrêté au printemps de ma vie et à hauteur de ses jupons aux improbables imprimés. Filtre suranné.

Anna a les boucles immaculées. Comme des petits nuages d’ouate sur sa tête qu’elle promène tout le temps avec elle. Elle les a chopés à son mari, l’arrière grand-père. Ca ne m’étonne d’ailleurs pas d’elle. Sur son visage, un sourire et des yeux pincés qui laissent deviner l’enfant espiègle qu’elle n’a jamais quittée. Elle a trois répliques d’elle Anna. Mimi, Nénette et Suzanne, ses filles chéries. Elle a des bas collants couleur chair dont elle n’a que faire. Sur sa cheville, ils sont tout ratatinés. Les manches de ses chemisiers aussi. La fée clochette en fripes de petite vieille, ç’aurait pu être elle. C’aurait été drôlement plus magique que ce surnom tout rabougri, “La Bobonne”. Dans son sillage flotte une odeur de réglisse achetée à la sauvette chez l’épicière de la rue Piesseveaux et dissimulée dans son grand cabas de faux cuir. Noir. Diable, le caractère d’Anna. D’ailleurs, je ne suis pas sûre qu’elle allait à la messe Anna. Un point commun avec moi. Je ne dirai pas Ma foi. 

 

 

La rebelle de ma mémoire familiale, c’est elle. Peut-être parce qu’avec moi elle ne s’embarrassait pas ou peut-être parce qu’il m’importe de l’imaginer telle. Au moins je comprendrais pourquoi je suis un peu comme ça. Toujours à la frontière du non et du pourquoi. Elle aurait probablement fait un doigt d’honneur à sa fin de vie Anna. Sa manière de faire oublier les longs couloirs de la clinique, les draps qui sentent mauvais et engloutissent son corps petit à petit. Ne retenir que ses lunettes du bout du nez, ses barbichette tu me tiens et la main bien fort. Surtout.

Aujourd’hui, j’ai mis les boucles d’oreilles d’Anna. Deux mini prunelles. Et puis j’ai dressé la table. Comme elle. On ne fait pas de tralala, dans ma tête ça insistait. La joie et voilà. Un repas improvisé, que l’on prépare hâtivement en écartant de la main quelques miettes d’une table qui n’a pas encore été lavée. Deux bancs, trois chaises et le reste où bon voudra. Des assiettes de tous les jours, des bols des grands soirs et du vert primevère. De celles qui tapissent le verger d’à-côté. La fraîcheur à l’état brut. Et son rire par-dessus qui claque. Pur. A cette table, j’ai convié tous ceux que j’aime et qui comprennent. 

Anna. 

Je voudrais que pour les miens elle soit encore là.

La composition A la table d’Anna est un joyeux mélange : Esprit Cantine de Jars Céramistes,  collection Chou de Bordallo Pinheiro et lin lavé de Linge Particulier. A retrouver sur La Loja.