Félicie

FéLICIE

Je rédige, protégée, à l’ombre d’un arbre familial. En sa sève coulent les prénoms et les vies de celles à qui je dois probablement tout ce que je suis. Des femmes au destin peu commun, éclaireuses ou guérisseuses.

Je vous ai déjà parlé de Suzanne à la tendresse et à la mémoire fluettes, de Francelina ma grand-mère à deux ailes, d’Anna l’arrière bien excentrique mais pas encore de Félicie. Voici les premières lignes de son récit qui m’ont été données par la nuit :

Il devait avoir 16 ans à peine et ce serait son dernier décembre. Elle le savait. Elle lui racontait de ses yeux l’immensité du voile neigeux sur la campagne. Elle taisait les uniformes ensanglantés, taches éparses bleues et rouges sur la poudreuse. Elle préférait lui décrire un champ de coquelicots aux cœurs noirs et le blanc immaculé qui immobilisait la colère des canons.

 

Les images l’aidaient à tenir, la poésie à soutenir l’atrocité des nuits sans bout et à supporter la fange mêlée aux cris.

Chaque jour, elle suturait les blessures profondes et extirpait le feu des éclats d’obus. Elle s’appliquait. Elle recousait les cœurs en y glissant dedans un petit bout du sien. Elle déposait son amour pour les autres sous la gaze désinfectée. On la voyait caresser de sa douceur les visages épuisés d’avoir lutté et couvrir de ses mots la chair frigorifiée. Dans ce qui servait d’antichambre à la folie, sa présence seule rassurait. Elle apaisait et tiédissait le souffle jusqu’à ce qu’il s’autorise à regagner le corps un peu moins meurtri. Elle assistait les heures sombres et empêchait la mort de croquer toute la vie. 

Ce soir pourtant, elle lui tiendrait la main sans relâcher l’étreinte. Elle le sentait, elle accompagnerait cette étoile éphémère vers la lumière.  

Félicie était infirmière. Mais la passeuse, on l’appelait. 

 

C’était à l ‘époque où la neige tombait du ciel et des toits. Noël se résumait à ce simple apparat. Sa foi. 

Félicie avait le don de soi, toute sa vie serait marquée par cela. 

 

La capsule de cette fin d’année est parsemée de bleu et de rouge. Sans fioriture ni ornement. La table des fêtes est celle qui rassemble et me ressemble. La nostalgie du vichy, l’authenticité des céramiques de Tom and Folks, la simplicité de la gaze de coton et la chaleur des bougies.  Félicie n’est pas loin et j’ai bien saisi dans les premiers flocons son appel à rentrer chez moi, à raviver l’amour et à recouvrir d’une nappe l’ombre de mes maux. Noël est là, pourquoi ne serais-je pas en joie ?